PARTITION POUR: 

PRODUITS DE CIRCONSTANCES  

 

Xavier Le Roy

 

Le spectacle dont le texte suivant est le support, a été présenté pour la première fois en avril 1999 au centre d’art contemporain nommé le Podewil à Berlin dans le cadre du festival «  KörperStimmen  ». C’est une version complétée et modifiée d’une performance présentée en juin 1998 à Vienne (Autriche) lors du „Wiener Fest Wochen“ dans le cadre de l’évènement „Body Currency“ en réponse à l’invitation de Mårten Spångberg, Christophe Wavelet et Hortensia Völckers.

Ce spectacle doit être présenté de préférence dans un théâtre ou toute autre situation permettant d’avoir une audience face à une scène avec dans le fond un écran blanc pour projection de diapositives (théâtre, salle de conférence, etc...). La lumière doit être autant que possible la même dans la salle et sur la scène et son intensité doit pouvoir diminuée. La lumière est allumée à l’entrée et la sortie des spectateurs et  doit changer seulement pour permettre de visionner des diapositives. Selon l’espace il convient d’utiliser un microphone un pupitre de conférence, un projecteur de diapositives, une chaise, un oreiller et tout autre ustensiles dont vous aurez besoin pour la transformation ou l’adaptation de ce spectacle.

Chaque élément du spectacle doit être présenté autant que possible comme des faits équivalents sans exagérer ou mettre l’accent en faveur d’un des aspects. Essayer de «  performer  » sans ironie, sarcasme, romantisme ou affectations pour essayer de rester au plus proche de la présentation des faits. Les textes non encadrés doivent être lus. Les textes écrits en caractères gras italique et encadrés sont des descriptions et instructions pour des actions à interpréter.

 

 

 

Mesdames Messieurs bonsoir, avant de commencer la représentation du spectacle de ce soir je voudrais porter votre attention sur deux remarques. D’abord il est important de noter que j’ai écrit le texte que j’utilise d’abord en Anglais avant de le traduire en Français ce qui peut expliquer certain anglicismes  tel que l’emploi du mot «  performance  » par exemple, qui doit être compris dans le sens anglais du terme dont la traduction pourrait être à la fois spectacle vivant ou jeu d’acteur. Donc je n’emploi pas ce mot dans son sens historique ou pour désigner un certain type une certaine catégorie de spectacle vivant tel que la danse ou le théâtre peuvent être. 

 

D’autre part je vous demande, si vous avez des questions, de bien vouloir attendre la fin de cette «  performance  » pour les poser. Merci. 

 

Le titre de ce spectacle est: «  produits de circonstances  ».

 

En 1987 j’ai commencé à travailler sur ma thèse en biologie moléculaire et cellulaire et en même temps j’ai commencé à suivre 1 cours de danse par semaine.

 

Je  venais d’obtenir mon DEA qui m’a permis de recevoir une bourse de l’état Français avec laquelle je pouvais travailler sur ma thèse durant les 3 années suivantes.

 

Tout ceci m’a permis d’être admis à travailler dans un laboratoire spécialisé dans la recherche sur le cancer du sein et les hormones où j’ai pu faire les recherches nécessaires pour l’écriture de ma thèse.

 

Cette même année était aussi la fin douloureuse d’une relation amoureuse qui avait durée 3 ans.

 

C’est à ce moment que j’ai commencé à aller voir beaucoup de spectacles de danse, notamment durant les festivals d’été dans le sud de la France où j’habitait.

 

Je jouais encore beaucoup au basket-ball et mon corps essayait  de s’assouplir.

 

 

 

1- Je me déplace sur le coté gauche du pupitre (environ trois pas). Et je fait des exercices d’étirement qui consistent à enrouler mon dos les bras vers le sol cherchant à toucher le sol avec mes mains par de petits rebonds (20 environ). Mes mains n’atteignent pas le sol et restent á une distance d’environ 10 à 20 cm au dessus du sol. Comme c’était le cas en 1987. Ensuite je me redresse et je retourne vers le pupitre.

 

 

 

(Pouvez vous s’il vous plait changer la lumière et allumer le projecteur diapositive)

 

 

diapositive #1  : titre de ma thèse

  

Le titre de ma thèse que j’ai soutenu le 30 octobre 1990 était:

 

«  Etude par hybridation in situ quantitative de l’expression d’oncogènes et de leur régulation hormonale dans les cancers du sein.  »

 

Quand je suis entré dans le laboratoire de l’unité INSERM 148 à Montpellier, ma tâche était d’étudier in vivo l’expression de certains oncogènes dans les cancers du sein.

 

À ce moment les techniques habituellement utilisées pour étudier l’expression de l’ARN ou des protéines n’étaient pas très adaptées pour ces études in vivo, car la plus part du temps les biopsies étaient trop petites pour permettre une extraction d’ARN ou de protéine en quantités suffisantes et, d’autre part, l’hétérogénéité des tissus obtenus par biopsies ne permettent pas de localiser l’expression des molécules étudiées. 

 

Nous avons donc choisi d’utiliser la technique d’hybridation in situ car cette technique permet à la fois de détecter des quantités très faibles d’ARN et de localiser l’expression du gène étudié dans le tissu.

 

L’hybridation in situ révèle la présence  d’ARN messager sur des sections de tissus en utilisant une sonde du gène testé marqué radio activement.

 

Après hybridation des tissus étudiés, nous observons les lames de microscope sur lesquelles sont disposées les sections de tissus et la présence de l’ARNm du gène testé est visible sous forme de grains noires sur les tissus observés comme vous pouvez le voir sur la diapositive suivante.   

 

Diapositive #2  : photographie d’une coupe de tissu d’une biopsie d’un carcinome «  canalaire  » du sein observé sous microscope après hybridation in situ  avec une sonde de l’oncogène c-myc.

 

Sur cette diapositive vous pouvez voir une coupe d’une biopsie d’un cancer du sein de type «  canalaire  » sur laquelle les grains noirs révèlent la présence et l’expression de l’oncogène c-myc dans les cellules cancéreuses.

 

Diapositive #3  : photographie d’une coupe de tissu d’une biopsie d’un carcinome «  canalaire invasif  » du sein observé sous microscope après hybridation in situ  avec une sonde de l’oncogène c-erb-B2.

 

Sur cette diapositive vous pouvez voir l’expression de l’oncogène c-erbB2 au niveau ARN dans un cancer du sein de type «  canalaire invasif  ».Il est facile de noter une différence de quantité d’expression avec l’exemple précédent et avec le suivant. Ce qui montre que cette technique peut être quantitative.

 

Diapositive #4  : photographie d’une coupe de tissu d’une biopsie d’un carcinome canalaire du sein observé sous microscope après hybridation in situ  avec une sonde de l’oncogène c-myc.

 

Sur cette exemple il apparaît clairement que les grains noirs sont visibles sur certaines zones du tissu et pas sur d’autres (montrer sur la diapositive). Ceci indique comment cette technique permet de localiser l’expression du gène testé dans les tissus étudiés.

 

(Demander de remettre la lumière et d’éteindre le projecteur de diapositives)

  

Comme vous avez pu le voir dans les diverses exemples la technique d’hybridation in situ permet de localiser l’expression des gènes testés et de différencier les  niveaux d’expression. Mais, pour avoir des résultats utilisables nous avions besoin de traduire ces observations en nombres de façon à pouvoir faire des études comparatives et quantitatives pour ultérieurement réaliser diverses études statistiques.

 

Bien sur il était possible de compter les grains visuellement les uns après les autres mais ceci nécessite deux heures pour chaque champ observé sous le microscope. Afin de réduire ce temps de comptage, mon premier travail a été de développer en collaboration avec  des informaticiens de la société IMSTAR une méthode et une technique de comptage mécanique des niveaux d’ARN détectés sur des coupes de tissus par hybridation in situ.

 

2- Marcher jusqu’à la chaise qui se trouve pratiquement au centre légèrement à cours, enlever l’oreiller pour le déposer au bord du plateau, puis monter debout sur la chaise face au public. Exécuter les premières 5 minutes de la pièce intitulée  «  things I hate to admit  » (1994). Cette danse est une suite de mouvements réaliser à partir d’une contrainte physique (imaginaire) qui consiste à avoir les bras collé contre mon torse (sans ustensiles ou artifices) jusqu’au niveau du coude, seuls les avants bras sont libres de bouger. J’imagine que mon coude devient mon épaule et que mes avants bras sont indépendants de mon corps. J’interrompe cette danse pour retourner vers le pupitre et continuer de lire le texte suivant.

 

Pour compter mécaniquement les grains noirs détectés par Hybridation in situ nous utilisons un microscope connecté à une caméra et un ordinateur utilisant un programme spécialement développé pour cette tâche. Nous commençons par sélectionner un champ à étudier sous le microscope, ensuite nous prenons une photographie de ce champ à l’aide de la caméra se trouvant fixée au-dessus du microscope. Cette image est digitalisée par l’ordinateur puis transcrite sur un écran vidéo où il est possible de suivre les différentes étapes du traitement de l’image.

Cette technique nous permet de compter un champ observé sous le microscope en 10 minutes ce qui était beaucoup mieux que les 2 heures nécessaires pour un comptage visuel.

C’était un réel progrès donc ces résultats furent publiés et c’était la première fois que je participais à une publication dans un journal scientifique.

  

Durant cette période je prenais 2 à 3 cours de danse par semaine et j’apprenais à faire ce genre d’exercice. 

 

3- se déplacer sur la gauche du pupitre et exécuter les exercices en six de Merce Cunningham ou quelque chose d’équivalent. Puis réaliser une diagonale de triplettes, après quoi retourner au pupitre et continuer de lire le texte suivant. 

 

Pendant toute cette période j’ai passé beaucoup de temps à observer des coupes de tissus humains sous un microscope et j’essayais d’apprendre à distinguer les différences histologiques entre les cellules normales et cancéreuses et entre les différentes catégories de cancer. Je me souviens que même pour les chercheurs très expérimentés il était parfois difficile de prendre une décision claire et objective et de décider de placer le tissu observé dans l’une ou l’autre des catégories déjà répertoriées. Aussi, souvent, en regardant dans le microscope, j’avais l’impression d’observer et en même temps de transformer ce que j’observais.

 

J’avais l’impression que mes décisions étaient prises sous influence et que chacune d’elle était un challenge pour mon objectivité. J’avais l’impression de ne pas être capable d’être objectif. À partir de ce moment j’ai commencé à me demander à quel point je devais être objectif pour travailler dans le domaine de la recherche en  biologie médicale?

 

Mais j’ai décidé de laisser ses pensées de coté pour pouvoir continuer à travailler sur ma thèse.

 

Après avoir développé cette méthode de quantification mécanique nous avons commencé par étudier l’expression d’oncogènes de la famille des gènes des facteurs de croissances fibroblastiques. Dans ce but, nous avons testé 6 différents oncogènes dans 20 biopsies de cancer du sein. 

 

En fait ce travail a été le premier sujet de discorde avec, Henri Rochefort, mon directeur de laboratoire. Il voulait publier les résultats que nous avions obtenus et je pensais que ceux ci n’étaient pas assez fiables pour être publié. Nous avons donc eu quelques échanges assez électriques et les discussions s’empêtraient souvent dans des problématiques de carrière, de pouvoir et de hiérarchie.

 

Ainsi je prenais conscience des dérives provoquées par l’importance de publier. J’apprenais que, publier des articles dans les revues scientifiques est la forme de reconnaissance des scientifiques qui leur permet de créer et de protéger leur position dans la société. Comme on dit en Anglais «  publish or perish  » (Publier ou périr). J’apprenais que la recherche doit suivre les lois du capitalisme (ou tout autre nom que l’on voudra donner au processus qui domine aujourd’hui l’histoire mondiale).

 

Et je constatais qu’on me demandait de produire de la science et non pas de chercher.

 

A ce moment je prenais au moins un cours de danse par jours, je suivais aussi des cours de yoga et j’ai commencé à aller régulièrement chez un ostéopathe. Ces pratiques corporelles furent la base de ma nécessité d’explorer d’autres corporalités et d’autres théories sur le corps humain. 

  

4- marcher vers le centre du plateau. S’allonger sur le dos la plante des pieds en contact avec le sol  et les genoux en direction du plafond. Rester environ une minute puis retourner vers le pupitre et continuer à lire le texte suivant. 

 

La suite de mon travail dans le laboratoire était d’étudier la régulation d’oncogènes par le tamoxifène in vivo dans les cancers du sein.

 

Le tamoxifène est une anti-hormone utilisée en thérapie adjuvante contre les cancers du sein car le tamoxifène est un inhibiteur des hormones stéroïdes qui jouent probablement un rôle dans le développement des cancers du sein. Nous avons donc étudié l’effet du tamoxifène sur les niveaux d’expression de c-myc, c-erbB2 , int-2 et hst dans 19 biopsies de cancer du sein provenant de patientes ayant été traitées au tamoxifène pendant trois semaines en pré-opératoire. Nous avons comparé les résultats obtenus pour cette population avec ceux d’une population contrôle de 22 patientes n’ayant pas été traitées au tamoxifène.   

 

Les niveaux d’ARN ont été mesurés par hybridation in situ en utilisant la méthode de quantification semi-automatique comme je l’ai décrit précédemment.

 

Nous  avons trouvé que les quatre oncogènes s’exprimés dans les cellules épithéliales et que leur expression était négligeable dans le stroma. Comme vous pouvez le voir sur la diapositive suivante.

 

(Pouvez vous s’il vous plait changer la lumière et allumer le projecteur diapositive)

 

Diapositive # 5: exemple de L’expression de l’oncogène c-myc dans un cancer du sein de type  canalaire invasif. Cette diapositive peut être la même que la diapositive #3.

 

Vous pouvez voir sur cette diapositive un exemple très claire de l’expression de l’oncogène c-myc dans les cellules épithéliales d’un cancer de type canalaire invasif et une expression négligeable dans le stroma de ce tissu. 

 

Diapositive # 6: exemple de L’expression de l’oncogène c-erb-B2 dans un cancer du sein de type  canalaire invasif. Cette diapositive peut être la même que la diapositive #4.

 

Ici dans la même zone de biopsie que l’exemple précédant mais cette fois hybridée avec le c-erbB2 il est très clair que cet oncogène s’exprime dans le tissu épithélial et que son expression est négligeable dans le stroma. 

 

Diapositive #7: Graphique représentant les différences d’expression des oncogènes c-myc et c-erbB-2  dans les deux populations, traitée ou non par le tamoxifène.

 

Sur cette figure sont reportées les résultats de la quantification de l’expression des oncogènes c-myc et c-erbB-2 dans les populations de tumeurs du sein traitées ou non par le tamoxifène. Les résultats montrent que l’expression de ces 2 oncogènes était significativement plus faible dans la population traitée par le tamoxifène. Respectivement avec une valeur de p=0,018 et 0,003. 

Par contre comme le montre la diapositive suivante, les résultats pour les oncogènes int-2 et hst étaient beaucoup moins spectaculaires.

 

Diapositive # 8: photographie de secctions de tissues observés sous le microscope après hybridation avec les sondes des oncogènes int-2 et hst

 

Comme je l’ai mentionné tout à l’heure l’expression de int-2 et hst est très faible. Elle en moyenne de 2 à 3 grains par cellule.  

Comme vous pouvez le voir sur cette figure l’expression des oncogènes int-2 et hst n’est pas modifiée significativement par le traitement au tamoxifène.

 

Diapositive #9: Graphique représentant les différences d’expression des oncogènes c-myc et c-erbB-2  dans les deux populations, traitée ou non par le tamoxifène.

 

Nous avons ensuite utilisé ces résultats pour des études statistiques pour chercher d’éventuelles corrélations de l’effet du tamoxiféne avec divers paramètres. 

 

Diapositive #10  : Tableau de corrélations entre  : oncogènes, expression de l’ARN et leur amplification dans les populations de cancers du sein contrôle et traitée par le tamoxifène. 

 

L’analyse statistique montre une corrélation entre l’expression et l’amplification du gène c-erbB-2 (p=0.0005) et pour hst (p=0,02) dans la population contrôle. Mais aucune corrélation entre l’expression et l’amplification n’a pu être mise en évidence pour les oncogènes int-2 et c-myc ainsi que pour les 4 oncogènes dans la population traitée par le tamoxifène.

 

Diapositive #11  : Analyses statistiques et corrélations avec le statut des récepteurs aux œstrogènes dans les biopsies des cancers du sein des populations contrôle et traitées par le tanoxifène.

 

L’analyse de l’effet du tamoxifène sur l’expression des 4 oncogènes testés selon le statut en récepteurs montre une corrélation du traitement avec la diminution de l’expression c-myc dans la population de tumeurs RE+ (p= 0.04). Par contre de façon surprenante le tamoxifène diminue l’expression de c-erbB2  significativement dans la population RE- (p=0.002) 

  

(demander d’éteindre le projecteur de diapositives et de changer la lumière)

 

En conclusion de cette étude, et ceci était aussi la  conclusion de ma thèse soutenue le 30 octobre 1990), nous pouvons dire que ces résultats suggèrent que le tamoxifène décroît l’expression des oncogènes c-myc et c-erbB-2 in vivo dans les cellules de cancer du sein et qu’il n’a pas d’effet sur l’expression des oncogènes int-2 et hst.

 

Il semble que le mécanisme de régulation de ces deux oncogènes soit différent. Le tamoxifène semble pouvoir intervenir au niveau de l’ARN et de l’ADN en utilisant ou pas l’interaction avec les récepteurs œstrogènes.

 

Afin de prolonger cette étude et pour essayer de trouver la cause de ces différences de mécanismes de régulation une perspective pourrait être d’entreprendre une étude in vitro du mécanisme de régulation de l’oncogène c-erbB-2 par le tamoxifène, dans des lignées cellulaires RE+ et RE-.   

 

Mais, en même temps j’avais d’autres conclusions ou plutôt d’autres questions après ces 3 années de travail dans ce laboratoire. Par exemple je me demandais pourquoi on essai de faire une généralité de résultats qui semblent si divers et hétérogènes?

Je me demandais aussi dans quelle mesure peut on croire et utiliser les résultats donnés par des études statistiques? 

À ce propos je voudrais reporter ici des statistiques faites sur les risques de cancer du sein tirées de publications scientifiques très sérieuses et citées par  Yvonne Rainer dans son film "Murder and murder". 

Elle dit qu’il a été montré que le pourcentage de risque de cancer du sein est 2 à 3 fois supérieur dans la population homosexuelle par rapport à la population hétérosexuelle. Ce qui signifie entre autre, que lorsqu’une femme devient lesbienne elle est d’un jour à l’autre plus exposée au cancer du sein uniquement en changeant son rapport en vers les femmes.

 

Au cours de ces trois années passées à exercer le métier de chercheur dans ce laboratoire j’ai commencé à me demander quel était le but d’être de plus en plus spécialiste pour nos recherches  ? Est-ce que cela aidait vraiment à comprendre les fonctionnements du corps humain?

 

Il m’a semblé de plus en plus étrange d’isoler des systèmes hors de leur contexte pour pouvoir les étudier et les analyser dans un laboratoire. Le système expérimental auquel je participais était responsable et créait ses propres résultats comme tout autre dispositif technico-scientifique d’ailleurs. Et ce système expérimental m’apparaissait de plus en plus comme un  cycle fermé sur lui même dont je ne voyais plus aucune issue aucune perspectives.  

Pourtant je pensais qu’essayer de comprendre la cellule comme un microcosme du corps humain était sans doute un modèle très intéressant mais je regrettais que celui ci soit seulement étudié en utilisant des systèmes «  mécaniques  » pour finalement faire un mythe de ce modèle.

Il me semble que le corps humain n’est pas seulement organisé de la façon dont les biologistes essaient de l’organiser.

 

Toutes ces remarques sont peut être un peu naïves. Mais au cours de cette expérience j’ai commencé à voir la science comme une machine à produire des problèmes qui pourraient être résolu de façon à avoir l’impression et la satisfaction d’un control total des questions posées par le sujet étudié.

 

Lorsque j’ai commencé à faire de la recherche j’avais une idée de la science plus idéaliste et lentement j’ai perdu ma confiance. Ou pus exactement, j’ai perdu m’a croyance dans la science, cette croyance spécifique qui présente la science comme un accès à la vérité ou à un monde différent. 

  

5- marcher jusqu’à la chaise. La retourner et s’asseoir dessus dos au public á peu  près au centre et légèrement au fond de la scène. Interpréter une partie (début) de la pièce intitulée «  Burke  » (1997). Cette partie consiste en une suite de mouvements donnant l’impression  (vu du public) que les bras ont été coupés au niveau des coudes. Dans ce but tous les mouvements sont faits en repliant les avants bras et en laissant ceux ci toujours derrière les hauts de bras donc invisibles pour l’audience. Ces mouvements sont doublés de l’imagination d’un corps dont effectivement les bras s’arrêtent au niveau des coudes.  La séquence se termine par un demi tour sur place (fini face au public) en dépliant les bras dans toutes leur longueur qui viennent alors s’entourer autour du corps comme des corps étrangers. Après cet arrêt retourner vers le pupitre et lire le texte suivant.

 

Ces 3 années passées dans ce laboratoire m’ont appris que 50% du temps y est consacré à écrire des rapports, des articles, des  publications ou autres preuves que vous travaillez sur un sujet productif. 30% du temps est consacré à chercher comment vous pouvez être productif et le reste du temps sert pour les observations, les expériences et les analyses. 

J’ai alors réalisé que la recherche en biologie était souvent prise au piège d’une certaine politique et de rapports de pouvoir répandant une hiérarchie et un ordre indiscutable qui se propage à tous les niveaux.

 

Peut être que mon expérience est très spécifique à la recherche en biologie médicale

 Peut être que cela aurait été très différent si j’avais fait de la recherche en physique des particules par exemple?

 Mais ce n’était pas le cas aussi, en 1990, après avoir présenté ma thèse j’ai décidé d’arrêter ma carrière en biologie moléculaire. J’ai fuit et j’ai décidé de me consacrer à la danse.

 

Mon corps est devenu à la fois actif et productif, analysé et analyseur, sujet et objet, produit et producteur. 

 

En 1991 je suis allé vivre à Paris où j’ai suivi des cours de danse, et j’ai fait quotidiennement ce genre de chose.

 

6- Répéter la deuxième partie (triplettes)  de l’action 3. Puis retourner vers le pupitre et lire le texte suivant. 

 

Durant mon séjour à Paris j’ai commencé à passer des auditions et je me souviens qu’une fois j’ai été refusé parce que j’étais trop maigre mais la plus part du temps c’était mon manque de technique qui était la raison pour laquelle j’était recalé. Alors j’ai continué à m’exercer à faire ce genre de chose.

 

7- Se placer à gauche du pupitre et exécuter une série de développer en position parallèle devant et en première devant, coté et derrière. Puis retourner au pupitre et lier le texte suivant.

 

Mais cela n’a pas changé grand chose et plus cela allait plus mon enthousiasme pour la danse était mélangé avec des désillusions, des frustrations et des sentiments d’exclusion. Mon corps semblait résister aux normes de la danse. Peut être j’étais trop vieux? Peut être qu’il y avait quelque chose d’anormal dans mon corps? Et peut être c’était ceci....

 

8- marcher jusqu’au fond de scène. Placer une main au pied de l’écran (ou par terre si l’écran ne touche pas le sol. Etendre les bras en croix verticalement. Garder la marque la plus haute atteinte avec la main dirigée vers le plafond et toute en gardant la main à ce niveau se placer dessous. Placer l’autre main devenue libre, sur la tète et montrer la distance entre les deux mains qui correspond à la différence entre la largeur des bras et la hauteur du corps. Après quoi retourner vers le pupitre et lire le texte suivant.   

 

Mais après un an supplémentaire de cours de danse et d’auditions j’ai été engagé par Christian Bourrigault chorégraphe de la compagnie de l’Alambic pour participer à la création d’une pièce chorégraphique intitulée «  L’apocalypse Joyeuse  ». Je me souviens que nous utilisions le corps comme métaphore pour travailler, représenter ou exprimer les idées qu’il nous proposait. 

Nous travaillions surtout à base d’improvisation sous la direction du chorégraphe pour composer des séquences de mouvement qui devaient d’une certaine façon répondre à ses questions.

Nous devions aussi apprendre et reproduire les mouvements produits ou composer par les uns ou les autres pour pouvoir faire partie de danse «  d’ensemble  ». Le plus souvent ceci était très difficile pour moi, et je vais maintenant vous montrer un extrait d’une de ces danses.

 

9 marcher jusqu’à l’avant scène au deux tiers à cours et danser une partie de la danse intitulée «  la caresse  » extraite de la chorégraphie «  matérieu-désir  » crée par Christian Bourrigault en 1993. Puis retourner au pupitre et dire le texte suivant.

 

En 1992  j’ai déménagé à Berlin pour vivre avec la personne que j’aimais à cette époque. J’ai commencé à pratiquer la technique de contact improvisation qui y était très développée et courante à Berlin et j’ai aussi suivi des cours de la technique dite Alexander. Ces expériences et pratiques ont beaucoup changées ma perception du corps humain.

 

Après 1 an à Berlin  j’ai commencé à travailler avec un groupe pluridisciplinaire «  Detektor  » qui utilisait aussi bien le théâtre, des textes, la vidéo ou la danse pour créer des spectacles. 

 Ces nouveaux horizons m’ont poussés à me demander et à préciser ce que j’attendais de la danse. Et j’ai commencé à me poser des questions sur ce qui définit l’art chorégraphique et la danse et sur leurs perspectives.

 

En même temps j’étais de plus en plus déçu par la plupart des spectacles et chorégraphies que je voyais à cette époque. J’assisté à beaucoup de spectacles venant de divers pays mais je pouvais de moins en moins envisager de travailler avec l’un des chorégraphes et groupes dont je voyais le travail.

 

Aussi en 1993 me sentant isolé et utilisant les facilités pour trouver un espace à Berlin j’ai commencé à travailler seul.

 

Mon corps est devenu la pratique d’une nécessité critique.

 

J’ai commencé à utiliser mon corps pour me poser des questions sur l’identité, les différences  et les façons dont les images du corps se constituent. 

Je cherchais de quoi mon corps était capable sans pour autant essayer de dépasser des limites. 

Dans ce but je créais des sortes de dis-fonctions ou d’empêchements fictifs de mon corps avec une méthode assez analytique, que peut être certains qualifieraient de scientifique.

Mes premières chorégraphies étaient construites en réalisant des séquences de mouvements à partir de branchements et débranchements de parties du corps que j’essayais de considéraient et le représentaient comme des parties dissociables, peut être comme un biologiste le ferait pour les étudier.

 

L’interprétation ou plutôt l’exécution de ces mouvements cherchait quelque chose que l’on pourrait décrire comme un flux entre le corps et la pensée (si tant est que l’on puisse  les dissocier),  et tentait de considérer ce flux comme une entité mouvante. 

C’était une tentative, de travailler sur l’idée suivante: 

 De la même façon que la pensée organise les tissus dans un processus de vie, les sensations et les perceptions, pour une grande part, organisent la pensée. Les sensations et les perceptions ne sont pas seulement un matériel que la pensée organise, ils sont eux mêmes un principe majeur d’organisation.

 

Mais je ne veux pas dire par là que l’art chorégraphique traite ou ne doit traiter que des questions de sensations et de perceptions. Je pense au contraire que son cadre d’action dépasse largement ces possibilités. 

 

A Partir de 1995 ces réflexions ont étaient enrichies par une collaboration avec Laurent Goldring qui, entre autre, crée des images sur support vidéo pour travailler et questionner le statut de l’image du corps et de la figure humaine à travers le prisme de l’histoire de la photographie. 

Cette collaboration m’a incitée à poursuivre mes questionnements sur la perception et les capacités des corps humains et j’ai donc continué de construire et déconstruire mon corps pour faire des séquences de mouvements.

J’ai  déjà montré 2 exemples de ce types de mouvements qui sont extraits d’une pièce qui est un triptyque dont la réalisation avait commencée en 1994 et c’est finie en 1997 dont le titre est :   «  Narcisse Flip  ». Je vais vous montrer maintenant un 3ème extrait de cette chorégraphie.

 

11- Marcher d’un coté à l’autre de la scène avec les bras enroulés autour des épaules  L’action des mains sur les omoplates fait faire demi tour au corps. Après quoi se déplacer vers la chaise transversalement en gardant les plantes des deux pieds en contact avec le sol et en envoyant des parties de corps dans une multitude de directions tout en accélérant les mouvements jusqu’à ce que les bras se détachent et bougent de façon indépendante au reste du corps donnant la sensation qu’ils sont étrangers au corps. Changer de rythmes et alterner avec une séquence assis sur la chaise.  Finir par un demi tour fini dos au public avec bras enroulés autour des épaules mains tenant les omoplates. Toute cette séquence est exécutée en imaginant que les bras sont une identité indépendante. Après cette suite de mouvements retourner au pupitre et lire le texte suivant  :  

 

J’ai présenté mes premières chorégraphies lors d’évènements privés que nous appelions «  pressure presents  ». Le premier a eu lieu en 1993. C’était  l’idée d’Alexander Birntraum un ami musicien et musicologue qui m’a proposé que l’on s’offre mutuellement des pièces  de musique ou de danse à des dates que l’on se fixait l’un pour l’autre. Le but était de sortir notre travail de l’expérience exclusivement individuelle et de trouver une forme de présentation pour nos recherches respectives sans devoir solliciter  des théâtres ou autres lieux de présentation.

 

Depuis nous avons collaboré pour quelques projets et nous avons eu la chance d’être très vite (dés 1996) soutenu par des institutions culturelles de la ville de Berlin. Nous avons aussi eu la chance de pouvoir présenter notre travail dans différents endroits en Europe. 

Mais en même temps j’avais l’impression que cette reconnaissance ou ce succès changeait et influençait progressivement ma façon de penser et de faire. 

J’ai commencé à remarquer que le système mis en place pour la production de pièces chorégraphiques avait créé un format qui influençait et parfois pour une large part déterminait comment une pièce de danse devait être faite.

J’avais intégré l’économie du système de production de pièces chorégraphiques parce que je voulais vivre de ce que j’avais décider de faire. C’est à dire de la danse.

Mais même si j’essayais à la fois d’intégrer et de résister à cette logique, je n’étais pas toujours très convaincu par mes décisions.

Ceci me rappela certaines expériences faîtes dans le domaine de la recherche biomédicale ainsi que les raisons utopiques et idéalisatrices qui m’avaient fait arrêter ma carrière scientifique.

Mon point de vu dans la société avait changé mais en même temps je me trouvais dans un flou de similitudes entre les organisations sociales et politiques de la science et de la danse.

Je me senti comme un fugitif qui en fait n’avais jamais fui ce qu’il tentait de fuir.

 

J’avais besoin de changer les façons de changer et de travailler d’une manière plus critique.

Mais en  même temps je me rendais compte que le contenu d’une pièce n’était pas suffisant pour faire un travail critique. 

 

Durant cette période  ; c’était en 1996, j’ai eu la chance d’être invité par le «  quatuor Albrecht Knust  » à participer à la re-création d’une pièce d’Yvonne Rainer créait en 1970 intitulée «  Continuous Project –Altered Daily  » et de «  Satisfyin’ Lovers  » de Steve Paxton.

 

Ce projet fut très important pour moi et joue encore un grand rôle dans mon travail actuel.

C’était plus qu’un accès à l’histoire de la danse par sa pratique, ce qui était déjà quelque chose d’extraordinaire et de très enrichissant. 

Mais en plus ce projet m’a permis de partager un processus de réflexion qui à la fois me permettait de préciser mes questions et me donner quelques éléments de réponses.

Car c’était la première fois que je participais à un projet qui, durant tout le processus de travail jusqu’à sa présentation, essayait continuellement de prendre en compte tous les paramètres impliqués dans la production d’une chorégraphie.

Par exemple la pratique de la danse y questionne, le corps humain et le processus de travail en même temps que les méthodes de composition en reliant le tout à des questions sociales ou politiques avec une approche critique. 

Par exemple la façon de travailler en groupe, et comment les responsabilités sont distribuées sont des préoccupations centrales lors du processus de création mais aussi pendant la présentation et l’exécution de cette chorégraphie.

 

En plus cette pièce était très agréable à danser et je vais vous en présenter maintenant 2 extraits.  L’un s’appel «  running  » et le second «  chair and pillow dance  »

 

12- courir sur le pourtour de la scène et après quelques tours se diriger vers l’oreiller, le ramasser et se diriger vers la chaise retourner face au public afin de danser «  the chair and pilow dance  » extraite de «  Continuous Project – Altered Daily  »  (d’Yvonne Rainer 1970). Puis retourner vers le pupitre et lire le texte suivant  : 

 

Après cette expérience il m’est devenu encore plus difficile d’essayer de produire des pièces chorégraphiques. Parfois j’ai même pensé, après ce projet qu’il m’était impossible de faire quelque chose d’autre dans ce domaine. Mais je continue à penser que l’art chorégraphique est un champ privilégier pour explorer les questions concernant les représentations du corps.  

Aussi depuis je travail sur des questions qui sont pour beaucoup issues de cette expérience 

Par exemple je me demande:

Est ce que la production d’une pièce chorégraphique peut devenir le processus de production sans devenir un produit et quand même s’inscrire dans les lois du système de production et de diffusion qui régissent le marcher de la danse?

Quel type d’organisation utiliser  pour quel type de corps? Pour quel processus de travail?

Pour quel type de «  performance  » ou spectacle? Est il possible de travailler sur tous ces paramètres en même temps?

Depuis j’utilise entre autre ces questions pour explorer les possibilités du corps humain dont les représentations sont des processus à la fois de transformation et de médiation.

J’essaie de changer les organisations prédéterminées de la figure humaine pour tenter de transformer les représentations des corps humains et les formes de performances.

 

13- Commencer tout en restant au pupitre, à bouger selon le principe utilisé au début de la pièce «  self-unfinished  » (1998). Bouger une partie du corps après l’autre en associant un bruit ou inversement sans vraiment savoir si c’est le bruit qui produit le mouvement ou inversement. Se déplacer ainsi jusqu’à la chaise  s’asseoir puis se relever et se diriger vers le pupitre. Avant d’atteindre celui ci cesser cette facon de bouger et marcher normalement pour retourner au pupitre et lire le texte suivant  :

 

Ceci était le début d’une pièce intitulé «  Self-Unfinished  » sur laquelle j’étais entrain de travailler lorsque, dans le courrant de l’année 1998, j’ai été invité par Marten Spangberg, Christophe Wavelet et Hortensia Völckers, à participer à un évènement intitulé «  Body Currency  » qui proposait de créer un champ de réflexion sur les notions de «performance  » en associant pratiques et théories.

J’étais invité parce  que ma valeur ou ma reconnaissance dans «  la société du  spectacle  » est d’être un danseur atypique ou un danseur biologiste.

Pour cette événement on m’avait demandé de travailler et de préparer une conférence sur les possibles liens entre la biologie et la danse ou plus généralement la «  performance  ».

C’était un chalenge très intéressant de chercher et de tenter de faire quelque chose à ce sujet pour clarifier ma position vis à vis d’une question qui m’est souvent posée.

Mais je me suis rendu compte que je ne pouvais développer aucune théorie à ce sujet. Je ne pouvais pas écrire d’article ou faire une véritable conférence.

Donc j’ai décidé de faire une sorte d’analyse biographique et de rester à un niveau personnel en utilisant certaines expériences comme support pour certaines pensées.

J’avais peur mais je pris le risque d’être peut être égocentrique mais j’espérais de la sorte pouvoir provoquer quelques questions.

 

Le résultat ou le produit de cette tentative est ce que je viens de vous présenter.

 

Pour conclure je propose de voir cette conférence comme la représentation d’un corps contaminé par ses enchevêtrements de facteurs sociaux, culturels, politiques, historiques, économiques, et  biologiques. Un corps qui est le temps et l’espace pour le passage de différents mouvements et diverses pensées, un corps incapable de se transformer complètement en théorie

 

Et peut être que la théorie est une biographie, la présenter c’est donner une conférence et donner une conférence c’est «  performer  » ou bien donner un spectacle. 

 

Merci beaucoup pour votre attention. Et si vous avez des questions je serai heureux d’essayer d’y répondre. Merci